L'envie des mots

Alain Bellet - André Benchétrit

Marie-Florence Ehret - Martine Laffon

Jacques Laurens - Dominique Sigaud Photographies de Jean-Paul Guimbetière

Et 31 détenu(e)s

DES ÉCRIVAINS EN MAISONS D'ARRÊT

L'Envie des mots est paru en septembre 2001, publié par la Coopération des Bibliothèques en Aquitaine. Réactions et textes d'écrivains, poèmes, textes individuels et fictions collectives de détenus s'enchaînent, écrits durant plusieurs mois.

Depuis plusieurs années des ateliers d'écriture sont organisés dans les prisons de cette région. En octobre 2000, un débat " Sait-on ce que c'est qu'écrire " a été organisé au Salon du livre de Bordeaux, réunissant les écrivains qui ont animé ces ateliers et Jean-Michel Maulpoix pour un apport plus théorique. Un certain nombre de photographies de comédiens en répétition et de lieux de spectacle avait été proposé aux écrivains animateurs d'atelier comme " déclencheurs ". La diversité étonnante des textes obtenus, leur qualité, la description de la manière dont s'est déroulé chaque atelier permet sans doute de mieux comprendre à quel point l'engagement individuel de chaque écrivain compte.

« Depuis des jours et des jours, je me minais devant celle que j'appelais la Grande Blanche... L'inspiration venait enfin de jaillir, comme une délivrance. Arrachés du fond de mes entrailles, les mots se précipitaient, se bousculaient. Tout en écrivant, le captais le regard sournois d'un inconnu... »

Atelier Hommes, Maison d'Arrêt de Pau

Extraits des auteurs :

Jacques Laurans

Là, rien ne peut distraire ou détourner l'activité de la pensée. Celle ci jaillit parfois comme un éclat. Admirable" à peu près"; coup de boutoir dans la langue qui vibre comme un organe. Puis-je seulement deviner l'effort si particulier, si sensible, que représente pour chacun cette présence à l'atelier ? Il m'est difficile de le savoir, mais à chaque séance, j'essaie de me rapprocher davantage, de mieux comprendre, d'unir le plus simplement du monde notre volonté réciproque d'écrire et de parler Ici, dans ce cadre si fixe et si défini, j'ai souvent l'impression que le cur de l'atelier se situe dans les marges. Là où la langue est à peine naissante, vive et sans apprêt. Là où elle s'invente, se redécouvre, au mot à mot. Faisant de ce manque une chose pure et irréductible. Quelque chose qui dit toujours vrai, comme un fond de parole pauvre et nue. Fragilité d'une langue à son début, d'une langue qui ne sait pas. Langue hors écriture, certes incorrecte, mais où la correction ne joue pas, et qui, si elle avait lieu serait un dommage, une déperdition. Parce qu'une voix s'exprime là en entier, d'un bloc, franche, et toute corporelle. Il arrive donc que la question de l'écriture en elle-même devienne secondaire, qu'elle importe moins que ce qui surgit dans l'instant, sans soucis de grammaire ou de construction. Eclat de pensée, ellipse involontaire, jaillissement de la langue. Alors, la richesse d'un texte - ce texte qui est encore à venir- tient en une phrase brève et saillante. Une seule phrase, même non-écrite. Quelque chose est passé ; quelque chose a été entendu. Et on ne peut revenir sur une forme qui, dans le risque même de son approximation, a trouvé son langage et sa vérité.

Dominique Sigaud

Feuilles sur la table, stylo. Chacun à sa place.Vient alors ce moment entre tous, le fondateur, le doux, le silence des premières phrases écrites, des premières pensées envahissant la salle. La prison s'efface. Nous sommes entre êtres humains. Là. Maintenant. C'est ce silence qui nous l'accorde, nous enveloppe, nous lie. Définitivement. Pour tout texte écrit existe ce silence inaugural, le premier. Je crois qu'il est à l'origine du monde, de chacune de nos vies. Chacun, un instant, croise ce silence avant que ne démarre le grand tintamarre qui ne prendra fin qu'avec nos morts. Chaque atelier d'écriture aussi contient ce silence, le premier. Il est fondamental. Plus rien ne bouge ni ne s'entend. Chacun est seul, nous sommes ensemble. Voilà ce que j'aime dans ces ateliers, cette part belle de la présence commune : ensemble, et séparément. Chacun doit avoir le courage d'être là pour lui-même. Nous nous en donnons ensemble le courage. La bienveillance est toujours là.

André Benchétrit

Quelqu'un se promène dans la salle et mesure les fenêtres et la largeur et la longueur et donne des indications de taille tellement précises que je demande pourquoi. Il me parle des devis qu'il avait l'habitude d'établir avant et des réflexes qui sont restés. J'assiste à quelque chose d'étrange. Chacun est là, à décrire, décrire, et vient parfois me voir comme si j'étais le chef d'un vaste chantier de description. Je me prend à regarder les uns et les autres comme des ouvriers spécialisés dans la description. La description des douches. La description de la cellule. La description de la salle de classe. La description de la bibliothèque. La description. Je sens bien &endash; et eux aussi &endash; que les mots qui décrivent sont ici pour construire un espace habitable par les paroles qui viendront demain. () A l'hôtel je corrige les fautes d'orthographe, la ponctuation, et parfois j'organise différemment. J'interviens peu. J'obtiens quelque chose d'assez surprenant, d'assez poétique. Je ne m'y attendais pas. Les uns et les autres, avec leurs manières de faire, leurs questions, leurs revendications, m'ont donné une leçon d'écriture. Je m'endors en me demandant ce que c'est qu'une description.

Martine Laffon

La première fois que je suis arrivée en prison, je me disais : surtout ne rien regarder, ne rien écouter, me barricader à tout ce que je n'avais pas envie de voir, ni de ressentir. Je ne voulais pas me laisser envahir par la prison. En fait quand je suis ressortie tout était rentré en moi : les barbelés, les cris, le bruit. Les mots, le langage ont la possibilité de sur dimensionner les choses, de donner de l'espace et du souffle. Au début de l'atelier on sent bien qu'on est dans les prémices, dans la genèse, que quelque chose qui n'existait pas avant va exister. C'est un instant qu'on ressent très fort. Il n'y a pas de recette. Le fait de travailler au départ sur des mots inducteurs, c'est pour avoir quelque chose en commun. Ensuite, comme dans toute écriture, il y a quelque chose de magique. Après un espèce de piétinement, à un moment donné ça va basculer et on va être dans l'écriture, dans le plaisir et le partage commun. On peut s'essayer sur beaucoup de rencontres, le conte, la poésie, le carnet de voyage, traverser tous les genres littéraires. L'écriture est à la fois transgression mais aussi, à un moment donné, coïncidence avec ce que l'on ignorait de soi, le plus profond de soi-même, là où réside peut-être quelque chose d'inaliénable quelque soient les circonstances. À un moment donné on voit qu'il y a coïncidence de soi avec soi et c'est l'écriture qui fait toucher ce lieu de passage où il va y avoir, au-delà de l'identité éclatée et plurielle, une unité profonde qui fait qu'on va coïncider avec soi.Dans cette dynamique de création, à l'intérieur de l'atelier, il me semblait que je n'étais que le passeur de quelque chose et que les choses se faisaient entre eux. Je ne me suis pas posé de questions philosophiques sur l'atelier au moment où on écrivait. C'est vrai qu'après, il y a un second temps. Qu'est-ce qu'on fait avec l'expérience vécue ? Qu'est-ce qu'on en fait avec sa propre expérience et avec son propre vécu ?

Marie-Florence Ehret

C'est le sujet qui compte : j'écris, tu écris, il écrit. La personne. La première, la deuxième, et aussi la troisième. Le singulier et le pluriel. J'écris, nous écrivons. Les temps, présent, passé : j'ai écrit. Les formes : c'est toi qui a écrit ça ? La grammaire, en somme, innommée et capitale. C'est elle qui dirige l'écriture, l'atelier d'écriture. C'est pour retrouver la fraternité que le langage assure aux êtres que nous sommes, petits-fils de cette grammaire, plus ou moins bien connue, mais inévitable, que des écrivains vont s'enfermer quelques heures par mois avec d'autres êtres de langage, animaux parlants, parlètres, enfants de la langue. Pour qu'ils nous rassurent, ces enfermés, sur cela qui fonde notre travail : l'absolue porosité du monde humain à la langue, dans sa matérialité de voix, de mots, de phrases ; la nécessité de cet échange, dans son existence bien plus que dans ce qu'il véhicule. En prison, j'y suis entrée sans m'en apercevoir...

Alain Bellet

Lorsqu'on est confronté au manque, quel que soit le manque, je retrouve toujours les mêmes dimensions d'authenticité. Je retrouve toujours le fait qu'un groupe chemine assez vite vers l'essentiel, des rencontres humaines dénuées de toute mascarade. Quand je dis rencontre humaine, ce n'est pas seulement celle entre l'écrivain et les détenus, mais aussi la rencontre entre les détenus eux-mêmes et les découvertes d'homme à homme, de femme à femme, puisque tous ces gens ne se connaissent qu'à travers les rumeurs des couloirs des maisons d'arrêt, auparavant... Il faut casser l'image donnée par la condamnation, par l'acte qui les a conduits là, pour qu'existe un terrain d'entente. Alors, une écriture collective permet de gommer les hésitations, les craintes et les peurs de ceux qui s'expriment pour leur donner confiance et créer, au delà de la rencontre, l'essentiel : l'écoute. L'écoute s'apprend, se travaille. Une production littéraire collective oblige à l'échange, à l'attention l'un à l'autre. Travailler individuellement serait renforcer la serrure individuelle de chaque cellule, de chaque tête.

Pour commander l'Envie des mots

(90 Francs, 13,72 Euros) Coopération des Bibliothèques en Aquitaine

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